Arrêtée lors d’une manifestation contre la guerre en Ukraine, Yana, cadre supérieure russe de 35 ans a décidé de fuir sa ville natale de Moscou. Depuis son arrivée à Paris en juin, elle tente tant bien que mal de régulariser sa situation, tout en portant la voix des opposants au régime de Vladimir Poutine.
Dans le hall de Sciences Po, à deux pas de Saint-Germain-des-Prés, Yana prend ses marques. « C’est une belle école, j’ai la chance de pouvoir étudier ici. Ils sont habitués aux étrangers ; j’ai même un tuteur qui m’aide pour les démarches administratives. Par contre, il va falloir que je m’habitue au niveau de langue car mon anglais est loin d’être parfait » ponctue-t-elle d’un éclat de rire, un brin nerveux.
Le matin même la jeune femme russe exilée à Paris a intégré un master d’urbanisme au sein de la prestigieuse école parisienne. Une étape qui, elle l’espère, lui permettra de stabiliser sa situation en France, encore bien précaire.
Arrêtée pour manifestation illégale
Le 6 mars 2022, deux semaines après le déclenchement de « l’opération spéciale » de Vladimir Poutine, plusieurs rassemblements sont organisés à travers la Russie pour dénoncer la guerre en Ukraine. Avec des amis, Yana décide de rejoindre une de ces manifestations, place Komsomolskaya, dans le centre de Moscou.
« J’avais déjà participé à plusieurs rassemblements auparavant, notamment pour protester contre le résultat des élections, sans aucun problème. Mais cette fois, la situation était complétement différente, le quartier était totalement bouclé, il y avait plus de policiers que de manifestants. Dans mon sac ils ont trouvé un stock de rubans verts, utilisés par les opposants comme symbole anti-guerre, et ils nous ont tous embarqués ».
Plusieurs milliers de manifestants sont alors arrêtés à travers le pays, dont 1 700 à Moscou, selon les autorités. Une journée de mobilisation qui, pour Yana, marque le début des problèmes.
Aller simple Moscou-Paris
« J’ai écopé d’une amende pour participation à une manifestation interdite mais surtout ils m’ont intégrée au système de reconnaissance faciale » explique la jeune femme. « Cet outil permet à la police de surveiller les moindres faits et gestes des opposants. Certains se font harceler, arrêter sans raison. Or la Russie n’est pas un État de droit, encore moins depuis le début de la guerre. En cas de problème avec la police vous n’avez aucun recours ».
Yana prend peur. Alors que les sanctions internationales pleuvent contre la Russie, elle s’inquiète également pour la santé de sa fille, diabétique, obligée de prendre de l’insuline plusieurs fois par jour. Elle décide de quitter le pays. « J’avais des contacts français en Russie qui m’ont orientée pour ma demande de visa. J’ai choisi la France parce que nous avons des amis de la famille installés là-bas. Par chance en quelques mois, j’ai obtenu une réponse positive de l’ambassade ».
En juin, Yana débarque à Paris avec sa fille de 13 ans et ses deux chats. Elle s’installe temporairement chez ses amis à Chantilly, dans le département de l’Oise, le temps de faire ses démarches.
Ping-pong administratif et militantisme
En mars 2022, l’Union Européenne a activé la protection temporaire pour les Ukrainiens fuyant la guerre, qui leur octroi de facto un statut similaire à celui de réfugié. Si certains pays comme l’Allemagne facilitent également l’accueil des opposants russes, aucune mesure de ce type n’a été mise en place en France.
« À Moscou je travaillais comme chef de projet dans la planification urbaine. C’est par ce biais que j’ai obtenu mon visa par la France, du fait de mes qualifications. Paris est le lieu idéal pour les gens comme moi passionnés par l’urbanisme. Je me voyais déjà monter ma propre entreprise. Mais j’ai vite déchanté » soupire Yana.
Alors qu’elle tente d’expliquer sa situation pour obtenir un titre de séjour, la préfecture l’oriente vers un centre d’aide administratif pour les Ukrainiens. « J’ai été très bien accueillie jusqu’à ce qu’ils voient mon passeport. Tout d’un coup plus rien n’était possible » ironise-t-elle.
Yana précise néanmoins ne jamais avoir ressenti la moindre animosité de la part des exilés ukrainiens dont elle se sent proche et solidaire. Depuis son arrivée à Paris, elle s’est rapprochée du centre Andrei Sakharov, ouvert par le célèbre opposant russe Lev Ponomarev, qui tente de fédérer les voix russes dissidentes en exil.
AFP