Dans la cour de la mosquée Bahaeddin Nakiboglu de Gaziantep, dans le sud de la Turquie, les hommes font face aux cercueils. Six. Tous installés sur un autel en marbre d’un blanc immaculé. Certains sont en métal vert. D’autres en bois. Parfaitement alignés.
L’imam, casque-micro vissé sur la tête, récite la salât al-janaza ou prière des défunts. Derrière lui, les hommes debout, alignés, les mains ouvertes vers le ciel. « Allahou Akbar ! [Allah est le plus grand, NDLR] », puis la sourate est prononcée à voix basse. Entre les quatre takbir – c’est le nom donné par les musulmans à la prière simplifiée Allahu Akbar -, pas d’inclinaison ni de prosternation.
Le tout en quelques minutes. La prière est brève car les défunts sont trop nombreux. Islahiye, Nurdagi… Les victimes proviennent toutes des localités les plus touchées par les deux violents séismes qui ont frappé le sud de la Turquie, le 6 février.
Les femmes, restées derrière ou sur les côtés comme le veut le rite funéraire musulman, pleurent, serrées les unes contre les autres. Parfois, un sanglot s’échappe.
À peine la récitation de l’imam terminée, il faut soulever les cercueils, les uns après les autres, pour les déposer dans des fourgons blancs. Les mêmes qui les avaient déposés plus tôt. Chaque minute compte. D’autres familles attendent parfois depuis des heures. On enterre à la chaîne depuis les tremblements de terre.
« Il ne pouvait pas me répondre »
Çan vit à Londres. C’est son père qu’il s’apprête à enterrer aujourd’hui. Il patiente devant le bâtiment où se déroule la toilette rituelle des défunts. Les traits tirés, le jeune homme semble anesthésié par la douleur. Il travaillait lorsqu’il a appris qu’un tremblement de terre avait secoué sa terre natale. « Au début, j’ai essayé de joindre mon père. J’ai appelé encore et encore mais il ne répondait pas, raconte-t-il doucement. Il ne pouvait pas me répondre. »
Çan vit à Londres. Il s’apprête à enterrer son père à Gaziantep, dans le sud de la Turquie. © Assiya Hamza, France 24
Le jeune homme a pris le premier vol pour Istanbul. Le lendemain, lorsqu’il arrive enfin à Nurdagi, c’est un spectacle de désolation qui s’offre à lui. « Tout s’est effondré. Tous les immeubles, toutes les maisons, se souvient-il les yeux hagards. Je n’ai pas de mots… »
Çan se tait, quelques secondes. « J’ai perdu mon père, mon oncle et ma grand-mère. Ils ont essayé d’aller dehors mais… » Le jeune homme s’interrompt une nouvelle fois.
Il est resté trois jours sur place. « Les recherches se poursuivent. Tout le monde travaille encore. D’autres bâtiments s’effondrent. Les gens vivent dans la rue. Il n’y a d’eau, pas de pain, pas de nourriture. Rien. Les habitants attendent juste l’aide. C’est tout. »
AFP