Des militaires ukrainiens posent pour une photo pendant le tir vers les forces russes d’une artillerie automotrice sur une ligne de front dans la région de Kharkiv, en Ukraine, le 24 décembre 2022.
Des responsables britanniques de l’armement se sont rendus à Kiev ces derniers jours pour évoquer la fabrication d’armes et de véhicules militaires britanniques en Ukraine, selon les révélations du Telegraph. Sans être déterminant dans la guerre à court terme, un tel projet pourrait se révéler précieux pour le camp ukrainien.
Derrière les chaleureuses accolades diplomatiques entre le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le Premier ministre britannique Rishi Sunak à Londres le 8 février, de sérieux pourparlers sur l’armement se jouent en coulisses. Des dirigeants d’entreprises de défense britanniques sont actuellement en discussion avec Kiev pour autoriser la fabrication d’armes et de véhicules militaires de conception britannique sur le sol ukrainien, a rapporté le Telegraph dans son édition du 11 février. Des émissaires britanniques se seraient déjà rendus sur place pour étudier la création de coentreprises qui construiraient ces matériels sous licence, selon le journal britannique. Un tel accord donnerait un sérieux coup d’accélérateur aux relations de défense déjà étroites entre les deux pays.
Visite surprise de Zelensky à Londres : Rishi Sunak promet de continuer à soutenir l’Ukraine
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Visite surprise de Zelensky à Londres : Rishi Sunak promet de continuer à soutenir l’Ukraine © AFP
Une relation anglo-ukrainienne privilégiée
Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Royaume-Uni n’a en effet pas ménagé ses efforts pour afficher son soutien à l’Ukraine. Un soutien diplomatique d’abord. Boris Johnson, alors Premier ministre, s’était rendu à deux reprises en Ukraine. Puis son successeur, l’actuel chef du gouvernement Rishi Sunak, avait également fait le déplacement peu après son arrivée à Downing Street.
Mais aussi avec un solide appui militaire. Londres est devenu le premier contributeur militaire européen à l’Ukraine avec une promesse de livraison de 14 chars Challenger 2 mi-janvier, avant que l’Allemagne n’annonce une semaine plus tard livrer 14 chars Leopard 2. Le chef du gouvernement britannique est allé plus loin en ouvrant la voie à la possible fourniture d’avions de chasse, grande demande de Volodymyr Zelensky. « Nous avons été clairs depuis longtemps sur le fait que pour ce qui est d’apporter une aide militaire à l’Ukraine, rien n’est exclu », et des livraisons d’avions « font bien sûr partie de nos discussions », a déclaré le dirigeant britannique lors de la conférence de presse commune du 8 février aux côtés du président ukrainien.
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Londres est loin d’être le seul partenaire européen à envoyer des armes à l’Ukraine. Des négociations similaires avec d’autres pays européens sont aussi dans les tuyaux, abonde le quotidien. Mais il semble que le Royaume-Uni ait la préférence des autorités ukrainiennes. « C’est le principal candidat en raison de la coopération militaire très étroite entre la Grande-Bretagne et l’Ukraine démarrée sous Boris Johnson – resté très populaire en Ukraine – et qui s’est poursuivie sous Rishi Sunak », opine Huseyn Aliyev, spécialiste de la Russie.
Il faut dire que Paris et Berlin, également engagés dans cette course à l’armement, n’ont pas fait montre du même empressement. En tardant à donner son accord sur la livraison de chars Leopard 2, l’Allemagne a marqué une certaine réserve à l’idée d’un plus grand engagement dans la guerre en Ukraine. Quant à la France, les propos d’Emmanuel Macron tenus en juin selon lesquels il ne fallait pas « humilier » la Russie ont pu échauder le président ukrainien. Par ailleurs, l’armement proposé par Paris n’était pas à la hauteur des attentes de Kiev, assure Huseyn Aliyev.
Le feu vert de Washington
Malgré toute la force de la relation anglo-ukrainienne, il ne fait aucun doute que Washington reste le partenaire le plus important de Kiev. Avec un bataillon de 31 chars Abrams de fabrication américaine, reconnus comme étant parmi les engins les plus avancés promis pour les zones de combats et une aide de deux milliards de dollars d’armes et d’équipements militaires, l’armée américaine est de loin la plus grande alliée militaire de l’Ukraine. La Maison Blanche s’est toutefois fixée une ligne rouge à ne pas franchir car Washington ne veut pas intensifier le conflit au point de risquer une troisième guerre mondiale. Lors de la visite de Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche, le président Joe Biden a fermement refusé l’envoi de missiles ATACMS américains à longue portée, capables de toucher des cibles dans les coins les plus reculés de la Russie.
La collaboration entre les États-Unis et l’Ukraine est telle qu’elle ne peut être écartée des discussions qui sont actuellement menée entre Kiev et Londres. Tout porte à croire que Kiev a d’ailleurs porté son choix sur le Royaume-Uni pour fabriquer des armes sur son sol en raison de ses liens privilégiés avec les États-Unis. « La relation spéciale entre les États-Unis et le Royaume-Uni a probablement été prise en compte dans les calculs de Kiev car c’est aussi un moyen de faciliter l’implication des États-Unis », assure Jeff Hawn, chercheur non permanent au centre de recherche géopolitique américain New Lines Institute.
Il est probable que les États-Unis aient « déjà donné leur approbation » à un accord de licence d’armes entre le Royaume-Uni et l’Ukraine, poursuit Huseyn Aliyev. La fabrication d’armes de conception occidentale sur le territoire ukrainien irait dans le sens des priorités de Washington. Comme leurs alliés de l’Otan, les États-Unis ont épuisé leurs stocks pour aider l’Ukraine plus rapidement que leurs sous-traitants de la défense ne peuvent les fabriquer. Cette décision va aussi dans le sens des propos du secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, qui a averti lundi que l’Alliance devait « augmenter » la production de munitions pour faire face aux nombreux stocks épuisés.
Cet accord avec les entreprises britanniques est le « genre de chose que Washington veut voir », poursuit Jeff Hawn. « Car il permettrait à l’Ukraine de rester dans la sphère de défense occidentale et la rendrait plus autosuffisante à l’heure où Kiev a épuisé les stocks des États-Unis, plus que ce qu’ils n’avaient envisagé. » La production d’armes occidentales plus près des lignes de front « allégerait également considérablement le fardeau logistique inhérent à l’acheminement massif d’armes américaines de l’autre côté de l’Europe », estime Huseyn Aliyev.
Cela dit, « les États-Unis ne partageront probablement pas avec l’Ukraine la technologie classifiée que l’on trouve derrière certaines de ses armes les plus sophistiquées, comme les drones militaires », prévient Huseyn Aliyev. « L’accord concernerait plutôt de l’artillerie et des véhicules blindés. » Et de poursuivre : « Cela ne doit pas nécessairement être considéré comme une escalade du conflit mais avant tout comme une étape pour simplifier la logistique. »
Il ne fait aucun doute que les Ukrainiens « pourraient gagner beaucoup à avoir des armes de qualité occidentale sur leur propre sol sans avoir à dépendre de ces livraisons peu fréquentes de leurs partenaires occidentaux », souligne Huseyn Aliyev. La pénurie de munitions est l’une des principales préoccupations de Kiev. Pour s’approvisionner en munitions d’artillerie, l’Ukraine et ses partenaires ont recours à la Corée du Sud et au Pakistan. Une logistique compliquée, sans compter que la Russie a une longue tradition d’utilisation des barrages d’artillerie, une tactique remontant à l’ère tsariste. L’armée russe s’est d’ailleurs illustrée avec succès dans ce domaine en juin dernier lors de la bataille de Sieverodonetsk, dans l’est de l’Ukraine.
Une aubaine militaire et économique
Cet accord de licence d’armes ne sera pas déterminant pour autant, estime Huseyn Aliyev. Mais il pourrait offrir à l’Ukraine de sérieux avantages. Nombre d’experts s’accordent en effet à dire que tout ce qui permettra à l’Ukraine de mettre la main sur un plus grand nombre d’armes est précieux pour son armée. Surtout dans le contexte actuel. « En ce moment, l’Ukraine est encore largement dépassée par la Russie dans la course aux armements », constate le chercheur. Et pas seulement en ce qui concerne les armes lourdes et l’artillerie : « La Russie est encore loin devant l’Ukraine en nombre de chars, de véhicules blindés, d’hélicoptères et d’avions de chasse. Il faudra un certain temps à l’Ukraine pour rattraper son retard. Bien que la Russie souffre aussi d’un manque de composants importés de l’Occident pour la construction de ses armes militaires. Elle peut certes compter sur les importations de Chine, mais elles ne sont pas au même niveau. »
Outre l’aubaine militaire, la fabrication d’armes pourrait se révéler très rentable d’un point de vue économique. Le territoire ukrainien est bien adapté à la fabrication de matériel de défense. Son industrie très développée sous l’ère soviétique lui a laissé de vastes infrastructures. « L’Ukraine disposait d’un vaste complexe militaro-industriel au temps de l’URSS, qui a beaucoup souffert après la Guerre froide car le pays a perdu son principal client et a ensuite été pillé par des oligarques russes. Mais l’Ukraine dispose toujours de bonnes infrastructures pour installer dans la durée une base militaro-industrielle », assure Jeff Hawn. Un accord de licence avec un pays comme le Royaume-Uni serait une « grande opportunité » pour l’économie ukrainienne en proie à la guerre, opine Huseyn Aliyev.
La fabrication ukrainienne pourrait aussi commencer en dehors du territoire ukrainien. Les travailleurs ukrainiens seraient alors amenés à se rendre chez un voisin allié. « Je m’attends à ce que la production ukrainienne démarre en Pologne près de la frontière, puis se déplace en Ukraine lorsque le pays deviendra plus sûr, à mesure que le conflit se rapproche de la fin, estime Huseyn Aliyev. Tout en gardant l’opportunité de déployer dès maintenant une production à plus petite échelle sur le sol ukrainien, plus facile à dissimuler et à déplacer. Et le chercheur de conclure : « À un stade ultérieur de la guerre, nous pourrons nous attendre à voir une production à grande échelle et plus high-tech sur le sol ukrainien. »
Un texte adapté de l’original en anglais par Aude Mazoué.
AFP